Dominique M. ne paie pas de mine. Chaussures de sport, jean, pull léger en laine synthétique sous une veste d’une célèbre enseigne de sport grand public, une tenue décontractée, cool, sous laquelle se cache un requin. Aujourd’hui, il est là pour l’avouer, à des gens qui deviendront peut-être comme lui.

Aucun rapport, mais j'aime cette photo.
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Parmi ces gens il y a Maynama, la belle black aux yeux amande et cheveux châtains. La bouche légèrement entrouverte, ses lèvres se mouvent rapidement. Trois questionnaires d’une quinzaine de pages chacun, commerce, français et math. Mieux vaut commencer par le plus ennuyant : les maths. La jeune femme calcule de tête autant qu’elle le peut pour éviter de devoir utiliser son téléphone portable ; le bruit qui accompagne chaque pression de touche lui attire à chaque fois des regards réprobateurs de la part des gens qui l’entourent. L’assemblée est plutôt hétéroclite ; des jeunes, des moins jeunes, des gens habillés chiquement, d’autres moins. Des gens beaux, d’autres moins. Des gens noirs, d’autres moins. Des gens d’apparence amicale, d’autres moins. Des gens concentrés, d’autres moins. La plupart font mine d’être totalement absorbés par les questionnaires posés devant eux, comme si leur survie en dépendait. Pour certains, c’est d’ailleurs probablement le cas.

Maynama répond sérieusement aux questions. Sa vie n’en dépend pas vraiment ; elle ne veut pas à tout prix décrocher une place dans cette formation, en cas d’échec elle trouvera autre chose. Mais les perspectives sont plutôt attrayantes… En face il y a Florian. Titulaire d’un BEP Vente, Florian tient à sa place parmi les douze élus, et il compte bien l’annoncer clairement à tout le monde en répondant spontanément aux questions futiles du «professeur» ou en riant à ses blagues navrantes. Beaucoup voient cela comme du fayotage, lui préfère y voir sa qualité d’homme avisé qui sait mettre toutes les chances de son côté. Il a déjà un travail, ou du moins il en avait un, qu’il a plaqué pour faire cette formation ; un BEP Vente, ça ne paie pas assez pour quelqu’un comme lui.

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Plutôt fort, il tente − assez inutilement − de cacher son embonpoint sous un costume taillé très large, qui ne le fait paraître que plus fort encore. Veste et pantalon noir sur une chemise au col déboutonné, il donne un air décontracté, comme Dominique, remarque-t-il avec une petite pointe de fierté. Dommage que la légère bande de transpiration sur son col ne vienne ternir cette image. Mais c’est encore le regard hautain, presque involontairement méprisant qu’il porte sur les gens autour de lui qui détruit cette habile tentative de mise en valeur de soi. Ses lunettes à épaisses branches noires, à la mode, l’obligent à regarder les gens de face, et il n’aime pas ça. Il corrige cette faiblesse en les regardant littéralement de haut, relevant la tête plus que de nécessaire. L’arrogance simple.

Au premier regard, Maynama a senti qu’elle ne l’aimerait pas. Tout juste sortie de l’université avec sa licence en poche, elle a décidé de chercher un travail dans la vente, et cette formation pourrait l’y aider. Mais ce n’est pas parce qu’elle a BAC+3 qu’elle s’autorise à regarder ses semblables avec dédain comme ce garçon. Elle est plutôt belle, porte les cheveux courts et teints en châtain foncé, ce qui lui donne un air original qui attire le regard et ne laisse pas indifférent. Elle a les yeux en forme d’amandes parfaites, aussi noirs que sa peau, et rieurs, joyeux en toute occasion. Sa mère prétendait lui avoir toujours connu cette touche de malice au fond du regard. La tristesse la gagne brusquement alors que la visage de sa mère emplit son champ de vision. Des larmes perlent. Elle porte la main à sa poitrine, vers la photo qu’elle garde précieusement dans la poche intérieure de sa veste en cuir usé. Une longue inspiration, elle reprend son sérieux. Ne pas craquer ici, au milieu de ces inconnus peu amènes. Maynama jette un regard circulaire sur le groupe qui la cerne, espérant que personne n’a surpris son expression attristée.

Au fond de la salle, le jeune homme brun à la barbe noire la regarde encore. Maynama l’observe par coups d’œil, sans provoquer de réaction. Elle tente de le regarder franchement. Il sourit, mais son regard la transperce. Il est ailleurs, regarde derrière elle, autre chose, loin. Ou peut-être voit-il clairement à travers elle ? Elle détourne les yeux.

Son sourire s’élargit, il ajoute quelques mots sur sa feuille avant de remballer rapidement ses affaires et d’enfiler son blouson en jean, dont il relève le col sur sa nuque. Il passe derrière elle, elle sent son parfum, le suit à l’oreille, guettant ses pas étouffés sur la moquette. Leurs regards se croisent une dernière fois alors qu’il ferme la porte.

Elle sourit.


Oui, ça finit un peu en queue de poisson, il n’y a pas de construction, pas d’histoire, pas grand chose. C’est juste ce que j’ai trouvé de moins inutile à gribouiller sur mon questionnaire de français pendant cette palpitante réunion d’information sur la formation de vendeur spécialisé en grand magasin, joli cadeau de bienvenue du Pôle emploi pour occuper ma journée de mardi.

Je ne sais pas qui est cette jolie jeune femme, je ne l’avais jamais vu auparavant et ne la reverrais sans doute jamais. Mais quand je l’ai vu, ce petit texte m’est venu à l’esprit, et faute de mieux j’ai pris le temps de l’écrire. À vous de le lire et de l’apprécier comme vous voulez… Ou pas 🙂